Publié le 24 novembre 2025 par Manon Giroux
Les limites planétaires : un signal d'alerte pour l'humanité

La Terre est en train de franchir les limites que les scientifiques ont désignées, dans le concept de limites planétaires, comme celles à ne pas dépasser. En 2025, sept des neuf limites planétaires fixées sont déjà rompues. 🌳

Qu’est-ce que les limites planétaires ?

Théorisé par 26 chercheurs et mis en lumière dans l’étude internationale “A safe operating space for Humanity”, le concept de “limites planétaires” ou “planetary boundaries” désigne un ensemble de seuil environnementaux à ne pas dépasser pour maintenir le système Terre stable. Dans la recherche menée par Johan Rockström du Stockholm Resilience Centre et Will Steffen (Université nationale australienne) neuf limites de la planète sont identifiées :

  • le changement climatique,
  • l'érosion de la biodiversité,
  • la perturbation des cycles de l'azote et du phosphore,
  • le changement d'usage des sols,
  • le cycle de l'eau douce,
  • l'introduction d'entités nouvelles (pollution),
  • l'acidification des océans, l'appauvrissement de la couche d'ozone,
  • et la charge atmosphérique en aérosols.

La logique de maintenir la Terre dans un espace “sûr”

L’idée fondatrice des limites planétaires repose sur une intuition, celle que la Terre fonctionne comme un système vivant, avec des équilibres permettant aux sociétés de prospérer. Si les seuils écologiques sont dépassés, les équilibres peuvent alors basculer vers des états moins propices à la survie des espèces végétales, animales et humaines. Pour cette raison, les chercheurs ont cartographié un espace de sécurité planétaire, une sorte de zone de stabilité écologique dans laquelle l’humanité peut se développer durablement. À l’intérieur de cet espace, le système Terre reste relativement prévisible, habitable, fertile. Mais au-delà de ces bornes données, l’humain s’expose à des effets comme :

  • l’effondrement des écosystèmes,
  • le dérèglement du climat,
  • la perte de ressources vitales, etc. 

Ce cadre est à la fois un outil scientifique et une manière d’appeler les humains à se responsabiliser sur leurs activités, à la fois de manière individuelle mais aussi de manière collective. 🤝

Où en est-on en 2025 ?

En 2025, sept des neuf limites planétaires sont déjà franchies. L’humanité avance désormais hors des clous. En deux décennies seulement, les seuils que les scientifiques avaient posés ont cédé, l’un après l’autre, sous la pression cumulée des activités humaines. 

Le changement climatique

Même si les premiers travaux sur le changement climatique remontent au XIXème siècle, c’est au début des années 1990 que le monde le constate réellement. L’augmentation constante des concentrations de CO₂, couplée à la hausse des températures moyennes, a fait du climat la première limite franchie. Le seuil critique de 350 ppm de CO₂ a été dépassé depuis longtemps, et les mécanismes de rétroaction (fonte du permafrost, incendies massifs, etc.) accentuent l’emballement.

Le dépassement de cette limite se traduit par des phénomènes, comme la hausse continue des températures extérieures (allant parfois jusque 50°C) notamment observée en Inde ou au Pakistan.

L’érosion de la biodiversité

Au tournant des années 2000, c’est le rythme d’extinction des espèces qui s’est accéléré. La perte d’habitats, la pollution, et la surexploitation sont des raisons qui ont conduit au franchissement de cette limite.

Des espèces éteintes

  • Le bouquetin des Pyrénées déclaré disparu en 2000 ;
  • La crapaud doré du Costa Rica déclaré disparu en 2001 ;
  • Le dauphin de Chine déclaré disparu en 2007 ;
  • Le rhinocéros noir d’Afrique de l’ouest déclaré disparu en 2011 ;
  • La pipistrelle de l'île Christmas déclarée disparue en 2017.

🐢 Pendant que certaines disparaissent, d’autres se voient sauvées :  5 espèces animales sauvées de l’extinction

Les cycles de l’azote et du phosphore

Avec l’agriculture intensive, l’azote et le phosphore (qui sont essentiels à la croissance des plantes) sont massivement relâchés dans les sols et les cours d’eau par le biais des engrais chimiques. Le déséquilibre qu’ils provoquent dans les écosystèmes (zones mortes, eutrophisation) a conduit au dépassement de cette limite dès le début des années 2000. 

Le changement d’usage des sols

Dans les éléments qui modifient les équilibres écosystémiques, fait partie la conversion des forêts, des zones humides et des prairies en terres agricoles ou urbaines. La surface forestière mondiale est elle aussi passée sous le seuil considéré comme sûr, et a ainsi modifié les capacités de la biosphère à stocker du carbone, essentiel à la régulation du climat.

L’introduction d’entités nouvelles (pollution chimique, plastiques, substances industrielles)

En janvier 2022, une étude publiée dans Nature a révélé que la cinquième limite planétaire avait, elle aussi, été dépassée. Et c’est la prolifération de substances de synthèse, dont les effets à long terme sont encore largement ignorés, qui est mise en cause dans la perturbation du fonctionnement du vivant.

Le cycle de l’eau douce

En avril 2022, un article publié dans la revue Nature a révélé que l’usage mondial de l’eau douce (eau bleue) avait dépassé les seuils naturels de régénération. Pour comprendre cette limite, les chercheurs distinguent donc deux “types” d’eau :

  • L’eau bleue correspond à l’eau des précipitations qui s’écoule vers les rivières, les lacs ou les aquifères, et qui peut être collectée pour les besoins humains.
  • L’eau verte désigne l’eau des précipitations qui est absorbée par le sol et les plantes. 

Ces deux limites ont successivement été dépassées, d’abord l’eau bleue et ensuite l’eau verte. 🌊

L’acidification des océans

La dernière limite planétaire franchie concerne l’acidification des océans, constatée en septembre dernier.

Vous l'ignorez peut-être mais les océans jouent leur rôle dans la régulation de la pollution en absorbant le dioxyde de carbone (CO₂) présent dans l’atmosphère. Cependant, lorsqu’ils absorbent trop de CO₂, le pH de l’eau de mer diminue, ce qui entraîne une augmentation de son acidité. Cette acidification perturbe directement les écosystèmes marins et menace la biodiversité. Plus le pH de l’océan baisse, plus les organismes marins (coraux, coquillages, plancton) sont affectés, ce qui peut avoir des conséquences en cascade sur l’ensemble de la vie marine. 

Les deux limites non franchies de la planète

Deux autres limites planétaires restent non franchies :

  • L'augmentation des aérosols dans l'atmosphère,
  • L’érosion de la couche d'ozone.

La première restante est l’augmentation des aérosols dans l'atmosphère, qui sont liés à l'émission des gaz à effet de serre, correspond à la quantité croissante de particules naturelles et artificielles qui se baladent dans l’air. Une quantité trop élevée peut avoir de mauvais effets sur la santé humaine ainsi que sur les écosystèmes. 

La seconde est l'érosion de la couche d'ozone. La couche d’ozone, qui protège la Terre des rayons ultraviolets du soleil, s’est longtemps amincie à cause de certaines substances chimiques comme les CFC. Mais aujourd’hui, grâce au protocole de Montréal, le trou dans la couche d’ozone est en train de se résorber et pourrait même entièrement disparaître d’ici 2050.

Comprendre les trois zones de risque

Au cœur de ce concept se trouve le point de bascule, autour duquel s’articulent trois zones de risque. 

🟢 La zone verte : une zone de fonctionnement sûre

Lorsque les indicateurs, mesurés en PPM, restent en dessous du seuil critique, c’est-à-dire en dessous du point de bascule, la Terre fonctionne dans des conditions stables et peut naturellement se régénérer sans danger. 

🟠 La zone orange : une zone à risque croissant

Dans cette zone de risque, le seuil critique n’est pas encore dépassé, mais le point de bascule se rapproche. Même si sa position exacte reste incertaine, cela signifie que la Terre commence à se rapprocher des conditions où son équilibre pourrait être fragilisé.

🔴 La zone rouge : une zone à haut risque

La zone rouge représente le niveau le plus dangereux du concept. Ici, la probabilité d’atteindre un point de bascule ou de provoquer des dommages irréversibles est plus importante. Les actions dans cette zone comportent un risque critique pour l’équilibre de la Terre et de ses écosystèmes.

Pour aller plus loin et illustrer ce concept, Levke Caesar, coordinatrice de l’équipe sur les limites de la planète au PIK, compare les points de bascule à des falaises dont on ignore l’emplacement exact. Selon elle, “ les limites planétaires représentent alors des panneaux “stop” placés bien avant” qui avertissent ainsi la Terre avant qu’il ne soit trop tard.

Est-il trop tard pour sauver la planète maintenant que toutes ces limites planétaires sont déjà franchies ?

Sur France Culture, l’hydrologue Emma Haziza explique que la Terre est résiliente. Si on la laisse retrouver son état naturel, ses cycles peuvent se rétablir assez rapidement. Elle cite des textes anciens, notamment sur le Tigre et l’Euphrate, qui montrent que des civilisations de l’époque avaient des environnements florissants. 

Mais aujourd’hui l’agriculture intensive qui implique l’usage massif de pesticides, les écosystèmes sont vraiment perturbés. Cela mène à l’acidification des sols et donc une baisse de leur capacité à retenir l’eau. Lorsque l’eau quitte les sols, elle se transforme en vapeur d’eau, gaz à effet de serre qui contribue au changement climatique.

Finalement, le concept des limites planétaires aide à comprendre le monde avec un regard scientifique. Il permet de mettre des chiffres sur les enjeux environnementaux, pour mieux visualiser où nous en sommes. Mais, le concept n’est pas exempt de critiques. Certains chercheurs estiment que les seuils choisis restent discutables, car ils reposent parfois sur des indicateurs difficiles à définir avec précision. D’autres soulignent qu’il serait dangereux de croire qu’“avant la limite tout va bien” et qu’“après tout s’effondre”. La réalité est que les dégradations commencent bien avant ces seuils symboliques.

Le modèle est aussi critiqué pour son absence de dimension sociale. En se concentrant uniquement sur les aspects biophysiques, il ne prend pas toujours en compte les inégalités entre les pays du Nord et ceux du Sud, ni les différences d’accès que ces derniers ont aux ressources. Des chercheurs tentent aujourd’hui d’y intégrer la notion de justice environnementale, afin de bâtir un cadre à la fois sûr et équitable pour l’humanité.

Enfin, certains craignent que la multiplication des alertes n'entretienne le défaitisme ou l’éco-anxiété, alors que ces limites devraient au contraire servir de guide pour le collectif. Car l’objectif n’est pas de céder au pessimisme, mais de reconnaître que les points de bascule ne sont pas encore des points de non-retour. 🌎